Autrefois l’apanage des lieux vides ou en voie de réhabilitation, les « Tiers-Lieux » que l’on décrira simplement comme des lieux de partage, ouverts à tous et visant à créer du lien ainsi que du « nous » au sein d’une communauté ou d’un quartier sont désormais en train de conquérir les lieux de soins à l’instar des EHPAD.

En effet, à l’heure où la question du bien-être en EHPAD est au cœur des préoccupations des familles et où la problématique de l’isolement des séniors doit être soulevée et traitée après de long mois d’éloignement contraint et forcé par la situation sanitaire, pourquoi ne pas utiliser l’espace disponible dans les EHPAD afin de créer des lieux ouverts sur le monde et remettant naturellement nos ainés au cœur de la vie de la cité en créant des EHPAD qui ne seraient plus de simples EHPAD « lieux de résidence et de soins » mais bien des EHPAD « lieux de vie ».

Ainsi, on pourrait légitimement se demander si la première évolution de notre modèle d’EHPAD vers un modèle d’EHPAD du futur tel que souhaitait par les théoriciens du secteur tels que Luc Broussy, ne serait pas un modèle d’EHPAD « lieu de vie » vecteur de vie sociale et de nous à l’inverse d’un modèle vecteur naturel d’éloignement et d’isolement que nous connaissons aujourd’hui ? De plus, nous devrons nous demander comment, en 2022, le numérique peut-il être un accélérateur du développement de ces liens ?

De nombreux exemples montrent aujourd’hui l’impact positif de ces tiers lieux

En 2021, la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) lançait un vaste appel à projets afin de garantir le financement de projets innovants ; à hauteur de 3 Millions d’euros grâce à l’enveloppe prévue pour la transformation des EHPAD dans le cadre du plan SEGUR de la Santé ; de création de Tiers Lieux en EHPAD. Au total ce ne sont ainsi pas moins de 363 projets qui ont été déposé pour 25 lauréats avec une grande majorité des projets portés sur l’aménagement extérieur des résidences.

Cependant, il n’aura pas fallu attendre ce plan de la CNSA, que nous saluons bien évidemment, afin de voir le développement d’un certain nombre de modèle de Tiers-Lieux dans les structures d’accueil pour séniors. Parmi les différents modèles que nous avons pu observer sur l’ensemble du territoire, il y en a trois que nous souhaiterions mettre en avant aujourd’hui.

Les potagers communautaires comme lieux de responsabilisation

Après avoir fleuris dans nos différents quartiers depuis maintenant quelques années, les potagers communautaires sont désormais au cœur de la stratégie de développement de Tiers-Lieux en EHPAD dans la mesure où ils présentent un certain nombre d’avantages. En effet, ceux-ci sont tout d’abord relativement simples à mettre en place avec des moyens financiers limités, la grande majorité des EHPAD disposant déjà d’un espace extérieur.

L’intérêt principal de ces potagers communautaires, au-delà de créer un lieu de vie et d’échange avec l’extérieur directement au sein de l’établissement tiens dans une possibilité de responsabilisation des résidents et notamment ceux souffrant de troubles cognitifs. En effet, l’expérience à montrer dans de nombreuses EHPAD où ces potagers sont implantés un impact positif pour les résidents se voyant confier des responsabilités même simples comme être en charge de l’arrosage des plants chaque jour ou encore s’assurer que les animaux disposent d’eau et de nourriture dans les EHPAD où notamment des poulaillers ont pu être installer. Par ces tâches, même si elles nous semblent simplissimes, les résidents se sentent automatiquement inclus dans des activités dépassant leur propre quotidien et donc naturellement responsabilisés créant un impact thérapeutique important d’autant plus pour les personnes souffrant de maladies cognitives telles qu’Alzheimer.

Faire de l’EHPAD un lieu de préservation des traditions

Il nous faudra ici quitter le continent pour nous rendre en Corse et plus précisément dans la région de Vico. C’est là-bas, au cœur de l’EHPAD « La Maison Jeanne d’Arc » que la vieille grange a pu être rénovée afin d’accueillir un four à bois traditionnel afin de permettre de vivre les traditions culinaires locales. Mais c’est également au sein de cette ancienne grange que viendront se produire des groupes de polyphonie dans le plus grand respect de la tradition Corse.

Ainsi, cette grange, en plus d’offrir un nouvel espace de vie pour les résidents servira véritablement de lieu de préservation des traditions corses dont les personnes accueillies au sein de l’EHPAD sont véritablement les gardiens. Le fait de renouer également, via le chant et le travail du four à bois, avec les souvenirs de leur vie permettra aux résidents d’entretenir une mémoire vive qui peut parfois semblait être effacée par le temps mais qui reste pour autant bien présente.

Faire de l’EHPAD le lieu de vie du quartier

Il nous faudra maintenant nous rendre à Marseille et plus précisément aux Jardins d’Haïti, EHPAD indépendante gérée par la famille Boucraut depuis maintenant 3 générations, afin de découvrir ce tiers lieu qui semble aujourd’hui le plus abouti de tous.

Le constat ici a été simple : Si les résidents ne peuvent plus sortir à la rencontre du quartier du fait de leur condition physique, alors c’est le quartier qui viendra aux résidents. Ainsi, après de nombreux investissements et aménagement, c’est l’EHPAD elle-même qui est devenue une sorte d’Agora pour le quartier dans lequel elle est implantée. Ainsi, dans ce lieu unique, se retrouve bien évidemment l’EHPAD mais également une crèche pour les plus petits, deux logements pour les étudiants les plus précaires, un café faisant également office d’espace de coworking pour les entrepreneurs des alentours mais également une salle de spectacle ouverte à tous ou encore un Food-truck proposant des produits locaux en journée avant de se transformer en guinguette en soirée.

 Ainsi, par ces investissements, c’est un véritable lieu de vie replaçant les séniors au cœur de la cité et donc au cœur de la vie sociale qui a été créer. Les résidents ne sont plus alors éloignés de la communauté mais au centre de celle-ci car c’est bien à l’EHPAD que l’on se rend pour travailler, vivre, se faire couper les cheveux, faire garder ses enfants ou encore tout simplement faire ses courses, se restaurer ou partager un verre entre amis.

Grâce aux Jardins d’Haïti nous sommes donc pleinement entrer dans cette idée d’EHPAD lieu de vie, créateur de nous et de lien social et non plus lieu d’hébergement pour les plus faibles d’entre tous à l’écart de la vie sociale de la communauté. On pourrait alors dire que ce sont bien les Jardins d’Haïti qui nous font rentrer dans ce modèle d’EHPAD du futur vers lequel nous devons tendre.

Cependant, bien que l’exemple des « Jardins d’Haïti » soit louable et doit aujourd’hui nous servir de modèle vers ce que l’ensemble des EHPAD devrait tendre, une question subsiste sur l’aspect réplicable du modèle. Fruit de la volonté et des efforts de la famille Boucraut, la transformation de l’EHPAD des « Jardins d’Haïti » en véritable lieu de vie et d’échanges a nécessité d’importants efforts financiers (de l’ordre de plusieurs centaines de milliers voire millions d’euros) ainsi que de longues années de travaux.

Nous avons vu plus en amont que la CNSA dans le cadre du plan Ségur avait débloqué une enveloppe de 3 millions d’euros afin de financer 25 projets au niveau national soit en moyenne 120,000 euros par projet. Alors comment pouvons-nous financer aujourd’hui la création de ces tiers-lieux dans les 5000 EHPAD que compte notre pays ? Ni aurait-il pas aujourd’hui des moyens innovants afin de créer des espaces de partage et d’échange facilement réplicable et donc plus économiques ? Cette solution pourrait-elle être celle du numérique ?

Le numérique comme socle de création de nouveaux tiers-lieux en EHPAD

C’est ce point de vue et ce projet que nous souhaitons défendre aujourd’hui. Nous avons pu voir l’impact important de la création des tiers-lieux afin de faire des EHPAD des lieux de vie, vecteur de lien social participant non seulement au bien-vivre des résidents mais également à la vie de la communauté. Cependant, la création de ces tiers-lieux nécessite d’importants aménagement et des investissements de plusieurs centaines de milliers d’euros ce qui est impossible pour la grande majorité des établissements. Alors pourquoi ne pas imaginer créer un tiers lieu numérique, sans aller jusqu’à parler de la création d’un metaverse des EHPAD, accessible au plus grand nombre.

Notre projet aujourd’hui, que nous pensons bénéfique pour le secteur, tient dans la création d’une grande plateforme numérique, sous la forme d’un nouveau média, à destination des EHPAD et des personnes résidant aux alentours. Nous souhaitons créer ce lieu numérique capable de proposer chaque jour des animations et des activités accessibles au plus grand nombre.

Nous connaissons l’impact de l’activité physique sur le maintien du capital santé de nos ainés mais aussi la difficulté que représente l’organisation de séances d’activité physique adaptée (APA) en EHPAD du fait du faible nombre de professionnels formés à ces sujets et au coût que cela représente et c’est pour cela que nous travaillons avec des professionnels afin de pouvoir proposer à tous les EHPAD à minima 3 cours d’APA par semaine accessible via ce média.

Il a été également montrer que le Yoga pouvait avoir un véritable impact sur le bien-être des séniors mais là encore les difficultés financières et logistiques empêchent que ces activités soient proposées de façon régulière en EHPAD, notre plateforme proposera donc 2 cours de Yoga sur chaise par semaine. Mais ce qui vaut pour l’APA et le Yoga vaut également pour la méditation ou encore l’Art Thérapie, nous travaillerons donc à l’organisation de séances régulières sur ces sujets.

Le capital physique est bien évidemment important mais le psychique et le spirituel l’est tout autant et c’est pour cela que nous échangeons aujourd’hui avec des ecclésiastiques des 3 grandes religions mais également avec des philosophes afin de proposer des contenus tournés vers la réflexion psychique.

Nous avons également pris l’exemple de l’EHPAD de Vico en Corse et des séniors comme mémoire vive de nos traditions et de notre passé et c’est pour cela que nous avons l’intention de réaliser un véritable Tour de France des EHPAD afin d’interroger les résidents et de faire partager avec tous ces parcours de vie tous plus extraordinaires les uns que les autres.

Mais comme nous l’avons dit, l’EHPAD d’aujourd’hui doit se transformer en EHPAD lieu de vie intégrer au cœur de la cité et de la communauté et c’est pour cela que nous souhaitons, avec la participation des EHPAD, que celles-ci soient ouvertes sur les créneaux de diffusion de ce média afin que chacun aux alentours puisse venir à l’EHPAD afin de participer à une séance d’activité physique, de méditation ou encore de Yoga.

L’ambition de cette plateforme sera donc de créer un véritable tiers-lieu numérique permettant la création de moments de partages et d’échanges, des moments de vie somme-toute, et cela de façon plus économique que les Tiers-Lieux « traditionnels » afin de rendre ces moments accessibles à tous.

Car oui, nous pouvons le dire en guise de conclusion, les tiers-lieux doivent aujourd’hui être généraliser afin de ramener les EHPAD vers leur vocation de lieux de vie et de création de lien social et le numérique pourra demain être un véritable catalyseur de ce lien.

Paul Delanglade

Tags