Le système des EHPAD (Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) en France traverse une crise sans précédent, révélant les failles structurelles d’un modèle vieillissant. Entre les déficits financiers, la baisse du taux d’occupation, la pénurie de personnel et les infrastructures obsolètes, le rapport sénatorial « Ehpad : un modèle à reconstruire » met en lumière l’urgence d’une refonte profonde du secteur.

Des Finances au Bord du Gouffre

La situation financière des EHPAD s’est fortement détériorée. En 2023, 66 % des établissements étaient déficitaires, contre 27 % en 2020. Cette dégradation résulte de plusieurs facteurs, notamment l’inflation, qui a fait augmenter les dépenses de fonctionnement (énergie, alimentation) à un rythme supérieur à la hausse des recettes. La crise sanitaire liée à la COVID-19, qui a entraîné une chute des admissions, et le scandale Orpea, révélant des cas de maltraitance systémique, ont également contribué à la dégradation de l’image des EHPAD et à une baisse du taux d’occupation, tombé sous les 80 % dans certaines régions.

Le rapport révèle également que certains EHPAD publics ont accumulé des déficits records, atteignant 1,3 milliard d’euros en 2023. Les EHPAD privés non lucratifs ne sont pas en reste, avec près de 50 % des établissements en déficit en 2022. Cette situation a un impact direct sur la capacité de ces établissements à moderniser leurs infrastructures ou à maintenir une trésorerie suffisante pour leurs besoins quotidiens.

Le Reste à Charge : Une Pression Croissante pour les Familles

L’un des principaux défis pour les résidents d’EHPAD est le reste à charge, c’est-à-dire la somme que les résidents doivent payer après déduction des aides publiques, principalement liée aux frais d’hébergement. Ce reste à charge varie selon les territoires, les politiques départementales et le statut juridique de l’établissement.

Le modèle de financement des EHPAD est tripartite :

  1. La section soins, entièrement financée par la Sécurité sociale via les ARS.
  2. La section dépendance, financée par les conseils départementaux à travers l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA).
  3. La section hébergement, majoritairement financée par les résidents eux-mêmes, constituant le cœur du reste à charge.

Le rapport montre que, pour de nombreuses familles, le reste à charge dépasse souvent les 2 000 euros par mois, un montant difficilement soutenable. Ce chiffre peut atteindre des sommets dans certains départements comme Paris, où le tarif journalier d’une place peut monter jusqu’à 89,50 euros, contre 55,10 euros dans des régions comme la Meuse.

Les aides, telles que l’Aide sociale à l’hébergement (ASH) et l’APA, contribuent à réduire une partie du coût. En 2020, environ 98 900 personnes vivaient en EHPAD sous le régime de l’ASH. Cependant, l’ASH est souvent récupérable sur la succession du résident, ce qui constitue une charge pour les héritiers. De plus, seulement 15 % des résidents en bénéficient, laissant la majorité des familles supporter des frais importants.

Pénuries de Personnel et Dégradation des Conditions de Travail

Outre les problèmes financiers, les EHPAD doivent faire face à une pénurie chronique de personnel. Le turnover élevé, les difficultés de recrutement et les conditions de travail pénibles aggravent la situation. Le rapport souligne que les métiers d’aides-soignants et d’infirmiers sont en forte tension, notamment en raison des bas salaires et de la surcharge de travail. Le recours à l’intérim, devenu courant, ne permet pas de stabiliser les équipes ni d’améliorer la qualité des soins.

Les conditions de travail dans les EHPAD se sont d’autant plus dégradées que la crise économique a limité les possibilités de revalorisation des salaires. Les revalorisations salariales promises lors du Ségur de la santé ont été mal compensées, augmentant ainsi les pressions financières sur les établissements.

Des Infrastructures Obsolètes et Mal Adaptées

Le rapport dénonce également le retard criant de modernisation des infrastructures des EHPAD. Conçus pour être des lieux de soins plutôt que des lieux de vie, ces établissements ne répondent plus aux attentes modernes en matière de qualité de vie. Les bâtiments, souvent vétustes, ne permettent pas d’offrir un cadre adapté aux personnes âgées dépendantes, renforçant leur isolement et la détérioration de leur bien-être psychologique.

La situation est encore plus critique dans certains départements, comme la Guadeloupe, où le taux d’équipement est largement inférieur à la moyenne nationale. Le rapport souligne l’urgence de construire de nouveaux établissements publics en Outre-mer pour répondre à une demande croissante, exacerbée par le vieillissement rapide de la population dans ces régions.

Des Solutions : Vers un Nouveau Modèle de Financement

Face à cette crise systémique, le rapport propose plusieurs solutions pour alléger le fardeau financier des familles et assurer la pérennité des EHPAD. Parmi les mesures phares, le rapport recommande :

  1. La création d’une assurance dépendance obligatoire, qui couvrirait une partie du reste à charge et allégerait ainsi la pression financière sur les résidents et leurs familles.
  2. Une revalorisation des tarifs d’hébergement et de dépendance, avec une indexation sur l’inflation, pour mieux refléter les coûts réels supportés par les EHPAD.
  3. Le financement intégral des mesures de revalorisation salariale pour le personnel, afin de rendre ces métiers plus attractifs et de réduire les tensions sur le recrutement.
  4. Un plan d’urgence pour moderniser les EHPAD publics, notamment en Outre-mer, où les infrastructures sont particulièrement insuffisantes.

Conclusion : L’Impératif d’une Réforme en Profondeur

Le rapport sénatorial dresse un portrait sombre mais nécessaire de l’état des EHPAD en France. Le financement du reste à charge et la modernisation des infrastructures figurent parmi les priorités pour réinventer un modèle en crise. À l’heure où la population française vieillit rapidement, il est indispensable de repenser ces établissements, non seulement pour assurer leur viabilité économique, mais aussi pour garantir une qualité de vie digne aux personnes âgées dépendantes. Une réforme en profondeur s’impose pour que ces lieux redeviennent des espaces de vie, de soins et de dignité pour tous.

 

 

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